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Frank Maire : « Après le fond de la piscine, le carrelage, le neuf est bientôt sous la chape »

Frank Maire, président du Pôle Habitat FFB 67 et PDG d’Alcys Réalisations, alerte sur la crise du logement neuf en Alsace.

Tags : Immobilier neuf Strasbourg, immobilier neuf Bas-Rhin, Alcys Réalisations, Pôle Habitat FFB


A la tête d’Alcys Réalisations, Président du Pôle Habitat FFB 67 et administrateur du Medef Alsace Frank Maire décrit un marché du neuf à Strasbourg et dans le Bas-Rhin au bord du gouffre, avec des conséquences qui s’annoncent durables pour les entreprises et plus largement tous les Français.



- Comment se porte aujourd’hui le marché du neuf dans le Bas-Rhin et plus largement dans le Grand Est ?
Frank Maire : « Si je devais résumer en une image, on pourrait dire que le marché chute depuis septembre 2022 et que cette baisse s’accélère d’année en année. On pensait toucher le fond en 2024, mais aujourd’hui, en 2025, nous sommes au niveau du carrelage. Et si la tendance se poursuit, 2026 pourrait nous mener encore plus bas, sous la chape. »

- Face à cette situation, quelles sont vos priorités au Pôle Habitat FFB 67 ?

« Nous concentrons nos efforts sur le statut du bailleur privé. C’est un enjeu national, mis en lumière par le rapport Cosson-Daubresse en juin dernier, qui a été unanimement salué. La question est capitale : si nous n’avons ni bailleurs sociaux ni investisseurs particuliers, il reste quoi pour soutenir le neuf ? C’est la clé pour relancer le marché. »

- Et les accédants à la propriété, comment se comportent-ils dans votre région ?

« Cela dépend du segment. Sur la maison individuelle, il y a d’un côté le très petit budget, éligible au prêt à taux zéro et de l’autre les grandes maisons de luxe pour des budgets dépassant le million d’euros. Entre les deux, le marché est quasi inexistant. Dans le collectif, la situation est encore plus fragile : les ventes restent marginales et les taux d’annulation très élevés. »

- Cela signifie-t-il que le marché du logement collectif pour les primo-accédants ne se redresse pas ?

« Absolument. Les quelques ventes qui se font sont insignifiantes. La situation est désespérante pour les promoteurs et les entreprises du bâtiment, en particulier pour le gros œuvre. Nous perdons des compétences et des emplois, ce qui fragilise la capacité à relancer le marché dans quelques années. »

- Existe-t-il une prise de conscience locale des élus dans le Bas-Rhin sur cette crise ?

« Oui, de manière générale, tous les élus que je côtoie mesurent le problème. Je pense notamment à Suzanne Brolly, adjointe au logement pour Strasbourg, qui connaît parfaitement l’ampleur de la chute des ventes. Le problème, c’est que les décisions gouvernementales successives ont été procycliques et ont accentué la crise, comme la suppression du dispositif Pinel. »

- Mais quand il s’agit de délivrer des permis de construire, les élus freinent parfois…

Alcys Réalisations lance la commercialisation d'un programme neuf près de Mulhouse au sein de l’écoquartier les Rives de la Doller. © Révillience / Lutterbach / Alcys Réalisations
« C’est vrai. La pression électorale et le phénomène Nimby : « pas chez moi », compliquent les décisions. Même si le besoin de logements est immense, nous estimons qu’entre 2026 et 2035, la métropole de Strasbourg aura besoin d’environ 5 800 logements par an, nous n’en produirons qu’un quart cette année. Les conséquences sociales sont déjà visibles : étudiants sans logement, couples séparés contraints de cohabiter… Et ce n’est que le début. La situation est aggravée par le blocage des politiques publiques et l’absence de consensus sur des mesures pourtant consensuelles, comme le statut du bailleur. Le logement rapporte pourtant largement plus qu’il ne coûte aux caisses de l’État : 90 milliards de recettes pour 45 milliards d’investissements. »

- Et sur le plan de votre entreprise, comment résistez-vous chez Alcys Réalisations ?

« Principalement grâce aux bailleurs sociaux et à des partenaires comme Action Logement et la CDC, qui achètent chaque année plusieurs milliers de logements et soutiennent ainsi la promotion. Pour les ventes aux particuliers chez Alcys Réalisations, nous maintenons environ 30 % de notre activité, mais les rythmes sont extrêmement lents : un logement par trimestre au lieu de deux ou trois par mois. »

- Voyez-vous une sortie de crise à court terme ?

« Malheureusement non. Cette crise est complexe, avec de nombreux facteurs simultanés : taux d’intérêt élevés, conditions de financement difficiles, incertitudes internationales, absence de confiance des acquéreurs. Même un jeune couple qui avait réservé un logement en VEFA peut se rétracter sous l’influence de leurs parents ou de leurs proches. C’est une crise longue, structurelle et très différente de celles des années 1990 ou de 2008. » 

Le marché du neuf alsacien confirme son décrochage

Entre janvier-décembre 2024 et janvier-octobre 2025, selon les chiffres du Pôle Habitat FFB 67, les réservations nettes chutent de 32 % en Alsace, passant de 1 404 à 953 logements. L’Eurométropole de Strasbourg suit la même trajectoire, avec une baisse de 24 % (de 698 à 532 réservations). Plus inquiétant encore : les investisseurs particuliers disparaissent presque totalement, leurs achats passant de 179 logements en 2024 à seulement 93 sur les dix premiers mois de 2025.