Olivier Salleron, FFB : « Il y a un déni de démocratie à propos du Prêt à Taux Zéro »
En marge du séminaire technique du Pôle Habitat de la FFB qui s’est tenu la semaine dernière à Barcelone, Olivier Salleron, président de la Fédération Française du Bâtiment, a présenté des chiffres évoquant toujours un fort recul dans la construction, entraînant déjà une accélération de la destruction d’emplois dans le BTP. Entretien.
- On savait les chiffres mauvais, mais ce qui est d’autant plus préoccupant, c’est l’accélération de la crise, avec, par exemple, davantage de destruction d’emplois que prévu ?
« Nos prévisions à la FFB prévoyaient pour 2023 un niveau d’emploi à l'étal. Or, malheureusement, la crise est beaucoup plus précipitée et soudaine avec entre trois et six mois d'avance. Nous avons déjà détruit plus de 10 000 emplois sur les douze derniers mois au terme du troisième trimestre et en attendant les chiffres du dernier trimestre qui ne seront pas bons, on pourrait détruire 15 000 dès cette année. C’est une très mauvaise surprise pour l'emploi, pour nos entreprises, mais qui montrent aussi la violence de la crise du logement neuf qui entraîne le reste du bâtiment : rénovation, rénovation énergétique, bâtiment classique, non résidentiel, vers une récession qui va être très forte.
En plus, selon moi, dès que la crise arrive, il y a un facteur psychologique qui s’engage chez nos concitoyens, peut-être davantage encore chez ceux qui ont de l’épargne, mais aussi chez ceux qui n’ont pas pu avoir de crédit immobilier, qui fait que les projets sont reportés à plus tard.
C'est un entraînement beaucoup plus rapide que prévu, qui nous fait très peur parce que jusqu'où le toboggan va continuer de glisser. Malheureusement, nous n’avons pas encore touché le fond puisque aucune mesure n'a été prise sur nos combats actuels comme sur le prêt à taux zéro, sur le statut du bailleur privé, mais aussi sur l'application de la loi du ZAN. Toute la chaîne est bloquée : le parcours résidentiel est bloqué, le logement social souffre beaucoup. D’où notre interrogation à la FFB : faut-il dire à nos entreprises de réduire très fortement la voilure face à cette crise qui pourrait durer une année, deux années ou plus et qui sera très destructrice d'activité et donc d'emplois ? »
- Pourtant, vos mesures et solutions présentées ont été nombreuses ces derniers mois, pensez-vous que vos préoccupations ne sont pas prises en compte par l’exécutif ?
« Tout le monde est au courant et il y a une prise de conscience, à la fois chez nos concitoyens mais surtout chez leurs élus. Vu l’ampleur de la crise, plus de 2/3 des sénateurs et plus de la moitié des parlementaires ont commencé par voter les amendements qui rétablissent le PTZ tel qu'il existe aujourd'hui sur l'ensemble du territoire. Pourtant, cela n’est pas repris au sommet de l’Etat dans la prochaine Loi de Finances. C'est un déni de démocratie.
Il y a même dans certains ministères des personnes qui commencent à dire qu’il faut absolument mettre en place des mesures. Même le ministre de l'Economie, Bruno Lemaire, il y a une quinzaine de jours, nous a dit en public, « le logement neuf doit être une priorité absolue ». Dans ce cas-là, il faut donc dès maintenant des mesures et ne pas attendre une énième réunion, un énième colloque sur le logement neuf qui pourrait avoir lieu au printemps prochain. Sinon, nous allons encore perdre une année supplémentaire et une année supplémentaire, cela va se compter en dizaines de milliers de salariés en moins, nous allons détruire notre outil de production.
Or, il faut le maintenir au maximum parce que de toute manière, la démographie française est positive, il va falloir continuer à construire du logement neuf. Les logements vacants ne sont pas bien placés, il y en a dix fois moins que ce que l'on veut bien dire et quand l’activité va reprendre, il n’y aura plus de stock. Stock qui est d'ailleurs déjà quasiment nul aujourd’hui. Nous allons avoir besoin de tous nos salariés pour reprendre très vite afin de loger d'une façon confortable mais surtout abordable l'ensemble de nos concitoyens. Les ménages les plus faibles, les plus modestes et même les classes moyennes désormais, commencent à perdre espoir d'avoir un chez eux et socialement, c'est très dangereux pour la cohésion de la société française. »
- D’autant que le PTZ version 2024 pourrait exclure 93 % du territoire français et la moitié de la population française. C'est un mauvais signal envoyé à la population, selon vous ?
« Les collectivités territoriales, les maires en première ligne, en ont marre d’être accusées d’être les seules fautives dans la non-délivrance de permis de construire. Les élus veulent construire, veulent aménager leurs territoires. Face à des clients qui n’obtiennent plus de crédit immobilier, le prêt à taux zéro est trop faible aujourd'hui, les critères n'ont pas été revalorisés par rapport à l'inflation et cela exclut donc de plus en plus de ménages. Une lame de fond est en train de monter. Ce fut long, cela fait deux ans qu'on alerte, cela fait six mois qu’il commence à avoir une prise de conscience après le CNR Logement raté de la part du gouvernement, tellement humiliant et méprisant pour tous ceux qui l'ont construit pendant neuf mois. Depuis la rentrée de septembre, il n’y a plus un seul jour où la presse, quelle qu'elle soit, ne fasse pas un papier, un reportage sur la crise du logement, de l'immobilier, de la construction. Malheureusement, comme un peu tous les gouvernements successifs depuis des décennies, ce sont quand les mauvais chiffres arrivent que cela réagit. Aujourd'hui, c'est une question de semaines et il va falloir mettre le paquet pour relancer la machine. »
- Est-ce que vous n'êtes pas désabusé face à cette non prise-en-compte ?
« Nos métiers sont éternels car il s’agit de loger la population. C’est un des trois piliers avec se nourrir et se soigner. Se loger, c'est un besoin primaire. De plus, le logement neuf ne représente pas tout le bâtiment. C’est un peu moins de 30 % de l’activité du BTP. A côté, il y a beaucoup de choses à faire pour pouvoir rénover, agrandir, modifier, aménager le territoire. Reste qu’avec la démographie actuelle, il faudra des logements neufs supplémentaires. Comme on l’a vu au cours de ce séminaire technique du Pôle Habitat de la FFB, il faudra être encore plus précis et innovant au niveau technique, environnemental pour rendre le logement abordable et durable. Grâce à des chargés de missions environnementales dans nos entreprises, nous savons construire avec une très faible empreinte. Nous sommes même les champions du monde de la construction neuve durable avec cette fameuse RE 2020 que nous avons réussi à assimiler aujourd'hui, même si cela coûte plus cher. L'ensemble de la filière a montré sa volonté, sa résilience depuis le Covid. Nous avons passé cette crise sanitaire et pourtant, on s’interroge face à un gouvernement qui ne se rend pas compte aujourd’hui, trois ans après, qu’investir dans le logement est rendu au double de ce qui est misé en termes de recettes budgétaires, avec les conséquences sociales et économiques positives que cela entraîne si on agit pour le logement. Il faut réagir et vite. »
- Est-ce que vous pouvez entendre qu'il puisse y avoir un gouvernement, un exécutif, comme cela semble être le cas aujourd’hui, qui ne veuille plus aider le logement neuf face à des phénomènes d'aubaine qui peuvent exister parfois sur certains dispositifs ?
« Je crois qu'en France, avec notre devise « Liberté, égalité, fraternité », il y a la liberté de mouvement de s'installer là où on veut. Il y a l'égalité c’est-à-dire donner la chance à tout le monde, en créant une péréquation entre les plus riches et les plus modestes, c'est donner sa chance à tout le monde, et ne pas exclure les catégories les plus faibles. Ce n’est pas digne d'un gouvernement démocratique et d'une nation comme la France que ne pas aider les Français les plus modestes à se loger. Je n'y crois pas et c'est pour cela que l'espoir est là. Je pense même que nous ne pourrons pas revenir en arrière, il faut donc réagir immédiatement en se basant sur toutes nos propositions de mesures. »