Arnaud Bastide, FPI Provence : « Au delà des 25 à 35 % d'effectifs perdus dans la promotion, nous allons vers une crise sociétale profonde »
Face à une crise profonde en France et notamment dans les Bouches-du-Rhône, Arnaud Bastide, président de la FPI Provence, fait le point sur l'immobilier neuf à Marseille et Aix-en-Provence, analysant les chiffres alarmants de 2023 et les rares motifs d'optimisme pour l'avenir.
- Pouvez-vous nous parler des chiffres de 2023 dans l'immobilier neuf dans les Bouches-du-Rhône ? On observe une baisse de 30 % des ventes hors bloc, avec une diminution de 22 % sur Aix-en-Provence et Marseille. C’est paradoxalement mieux que d’autres régions ?
« Les chiffres de 2023 sont très préoccupants. On ne peut pas se satisfaire de nos résultats, surtout quand on les compare aux ambitions du Plan Local de l'Habitat, PLH, de la métropole Aix-Marseille. En 2023, le PLH visait la production et donc la vente de 11 000 logements neufs à Marseille et sa métropole. Or, nous n'en avons réservé que 3 444. Cette situation est alarmante. D'autres régions connaissent peut-être des baisses encore plus drastiques ; mais l'an dernier, nous avons enregistré une baisse de 30 % hors bloc. Bien que certaines régions soient à - 60 %, nos chiffres restent catastrophiques. »
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- Quid de ce premier trimestre 2024 ? Y a-t-il un frémissement du côté des acheteurs ?
« Pour les Bouches-du-Rhône, entre les deux premiers trimestres de 2023 et 2024, nous sommes encore à - 30 %. Aucune amélioration. On continue cette longue descente aux enfers. Chaque année, on se dit que ça ne peut pas aller plus bas, et pourtant, nous réussissons l'exploit de faire encore pire. La tendance n'est pas bonne, il n'y a pas de rebond. En termes de réservations, il y a quelques frémissements grâce à une légère baisse des taux bancaires. Nos ventes en bulle frétillent un peu, ce qui est positif. Cependant, nous avons toujours des problèmes de financement pour nos clients. Notre modèle dans la promotion immobilière est basé sur le long terme, avec des projets imaginés il y a entre deux et cinq ans et les conditions économiques de l'époque ne sont plus les mêmes aujourd'hui. A l’été 2022, l'Euribor était à zéro ; à notre retour de vacances, il était à 1,80. Une telle explosion des taux en si peu de temps est sans précédent.
Les taux bancaires ont causé une double peine. D'une part, nos coûts de réalisation ont augmenté à cause des taux plus élevés, augmentant nos frais financiers. D'autre part, nos clients ont vu leur pouvoir d'achat diminuer. En plus des difficultés financières, depuis deux ans, nous faisons face à une hausse des coûts des matériaux et des techniques de construction, exacerbée par la crise de l'énergie. Les coûts de production, qu'ils soient financiers ou techniques, ont fortement augmenté, tandis que les clients ont moins de capacité d'achat, créant un effet ciseaux très compliqué. »
- Quels sont les retours de terrain de la part des promoteurs de votre région ? Comment s'adaptent-ils à cette situation ?
Avec l'explosion des taux bancaires, nous avons également perdu les investisseurs privés. Le dispositif Pinel n'est pas aussi attractif et l'immobilier est lourdement fiscalisé. L'investissement immobilier n'est plus rentable comme avant, ce qui dissuade les investisseurs. Par conséquent, nous devons nous tourner vers la vente en bloc via des logements intermédiaires, LLI, ce qui dégrade davantage nos marges. Nous espérons un rebond avec le léger fléchissement des taux et un retour progressif des acheteurs ; mais la crise actuelle a aussi entraîné un attentisme et un manque de confiance chez les acheteurs. Les gens se demandent si les taux vont continuer à augmenter ou baisser. Le climat économique global est relativement anxiogène, ce qui n'encourage pas les investissements immobiliers à long terme. Les clients potentiels sont donc plus prudents et préfèrent attendre une stabilisation des conditions économiques avant de s'engager dans un achat immobilier. »
- Est-ce qu’il y a des spécificités régionales par rapport au contexte national en Provence ?
« La région Provence reste attractive, ce qui est un point positif. La transition vers une activité industrielle décarbonée avec des investissements importants dans des projets autour de l’étang de Berre montre un avenir prometteur. On parle de 11 000 emplois directs et 40 000 emplois induits, ce qui est très positif pour l'économie locale. Toutefois, si nous ne produisons pas suffisamment de logements pour accueillir ces nouveaux travailleurs, nous risquons de rencontrer des problèmes d'attractivité. Les gens ne voudront pas venir s'ils ne trouvent pas de logements abordables. Il est primordial de coupler développement économique et disponibilité de logements, sinon nous perdrons en attractivité. »
- Comment réagissent les pouvoirs publics et les collectivités locales à cette situation de crise ?
« Le PLH a été voté à l'unanimité, et Marseille, qui porte 4 500 logements sur les 11 000 du PLH, a réaffirmé son ambition de produire ces logements. Toutefois, nous ne sommes pas au rendez-vous. Il y a un manque flagrant de délivrance de permis de construire dans certaines communes. La dynamique des promoteurs a été freinée par le manque de permis délivrés et par l'absence de terrains abordables. Les collectivités doivent proposer des solutions pour que les ambitions se traduisent en chiffres concrets. Le soutien à la demande est également primordial. Malheureusement, actuellement, il n'y a aucune aide substantielle comme celles que nous avons connues par le passé.
Nous devons également aborder la question des terrains constructibles privés. Aujourd'hui, les terrains disponibles sont rares et souvent trop chers, ce qui complique encore la situation. Les collectivités locales doivent jouer un rôle plus actif en libérant des terrains publics et en facilitant les autorisations de construire. Sans cela, nous ne pourrons pas répondre à la demande croissante de logements dans notre région. »
- Qu'en est-il des signes d'optimisme pour l'avenir ?
« Nous restons volontaires et déterminés. Malgré tout, de nombreux professionnels du secteur ont dû réduire leurs effectifs. On parle de réductions de 25 à 35 % des effectifs chez les promoteurs. Nos outils de production ne doivent pas être cassés ; car conserver du personnel qualifié sera crucial pour la reprise.
Aujourd'hui, il y a des raisons d'espérer. Les collectivités locales affichent une volonté politique de produire plus de logements et nous travaillons sur des solutions pour ajuster nos modèles économiques aux nouvelles réalités du marché. Nous espérons que le gouvernement prendra en compte nos revendications, notamment en matière de fiscalité et de soutien à l'investissement immobilier. »
- Est-ce que les images sublimes de l’arrivée de la flamme olympique peuvent booster l’intérêt des investisseurs pour Marseille ? Des cas de franciliens qui viennent s’installer à Marseille depuis le Covid vous sont-ils rapportés ?
« L’arrivée de la flamme olympique a été une fierté pour Marseille. Cela a permis de montrer la ville sous un jour positif, au-delà des caricatures. Marseille reste une ville attractive avec de nombreux atouts. Reste que l'effet sur le marché immobilier est incertain. La crise du logement doit être résolue pour capitaliser sur l'attractivité de la ville.
Depuis toujours, Marseille est une ville de passionnés et attire l'attention nationale et internationale dès qu'il se passe quelque chose en bien ou en mail. La visibilité accrue grâce à des événements comme l'arrivée de la flamme olympique peut renforcer l'image positive de la ville. Marseille, avec ses nombreux atouts comme son port ouvert sur la Méditerranée, ses calanques et sa proximité avec les stations de ski, reste une destination attractive. La ville a beaucoup évolué depuis les années 80 et surtout depuis l’arrivée du TGV et il y a eu de nombreuses améliorations positives. Mais pour que cela se traduise par des investissements durables dans l'immobilier, il faut que les conditions économiques et réglementaires soient favorables.
Pour cela, le gouvernement doit également revoir sa politique fiscale pour encourager les investissements immobiliers. La suppression de l'ISF et la création de l'IFI ont eu des effets négatifs sur l'mage même de l'investissement immobilier dans l'hexagone. Des mesures incitatives comme le dispositif Pinel doivent être renforcées pour attirer à nouveau les investisseurs privés. Plus largement, il faut sensibiliser les citoyens à l'importance de la construction de nouveaux logements. Trop souvent, les projets immobiliers sont bloqués par des recours abusifs. Il faut trouver un équilibre entre les intérêts individuels et le besoin collectif de logements.
Il y a beaucoup à faire pour redresser la situation du marché immobilier à Marseille et Aix-en-Provence. Mais avec une volonté politique forte, des mesures incitatives et une collaboration étroite entre les acteurs publics et privés, nous pouvons surmonter cette crise et répondre aux besoins de logement de notre région. »