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Juliette Lefébure, OID : « L'adaptation n'est plus un sujet annexe, mais stratégique dans l'immobilier »

Juliette Lefébure, directrice générale de l’OID, présente la nouvelle charte d’adaptation du secteur immobilier.

Tags : Immobilier neuf, changement climatique, adaptation, OID, Plan Bâtiment Durable


A l’occasion de la signature, ce lundi 13 octobre, de la Charte d’engagement à l’adaptation du secteur immobilier au changement climatique, coportée par l’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID) et le Plan Bâtiment Durable (PBD), Juliette Lefébure, directrice générale de l’OID, revient sur la genèse de cette initiative et sur les ambitions qu’elle porte pour le secteur.



- Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est l’Observatoire de l’Immobilier Durable ?

Juliette Lefébure : « L’OID existe depuis 2012. Il a été créé à l’initiative d’un petit groupe de professionnels : cinq ou six à l’époque, qui constataient un manque de visibilité sur les questions environnementales dans l’immobilier. La réglementation commençait à s’accélérer, mais il manquait des outils pour évaluer la performance réelle des bâtiments.
Notre idée fondatrice a donc été de créer un baromètre de la performance environnementale, centré sur les consommations énergétiques, les émissions de carbone et les usages des bâtiments. C’est de là qu’est née la notion d’observatoire. »


- Quel est aujourd’hui le rôle de l’OID qui compte désormais 150 adhérents ?

« L’OID est devenu un lieu d’échanges et de co-construction pour l’ensemble des acteurs de la filière : promoteurs, foncières, investisseurs, asset managers, institutions. Nous travaillons ensemble pour développer des référentiels, des outils et des méthodes qui n’existent pas encore, notamment sur des thématiques comme l’adaptation au changement climatique, la biodiversité ou la réglementation environnementale. Notre mission, c’est d’accélérer la transition du secteur en apportant les connaissances, les méthodes et la montée en compétences nécessaires. »

- Comment l’OID est-il financé ?

« Nous sommes financés principalement par nos membres, mais aussi par des subventions et des appels à projets, notamment avec l’ADEME ou d’autres institutions publiques. Par ailleurs, nous développons des programmes partenaires thématiques : sur la biodiversité ou l’adaptation, par exemple, auxquels participent des acteurs volontaires qui souhaitent aller plus loin sur ces sujets. »

- Vous signez avec le Plan Bâtiment Durable une charte d’engagement à l’adaptation. Quelle en est la genèse ?

« Nous travaillons avec le Plan Bâtiment Durable depuis longtemps. Nous avions déjà coanimé la charte de sobriété énergétique en 2022, en pleine crise énergétique, qui avait rencontré un vrai succès.
Cette nouvelle charte sur l’adaptation est née à la fois de notre programme partenaire dédié à ce sujet et des échanges que nous avons avec les acteurs les plus avancés. Beaucoup d’entre eux nous disaient : « Nous savons identifier les risques climatiques sur nos bâtiments, mais comment transformer ces diagnostics en décisions opérationnelles ? ». De là est née l’idée de fédérer une communauté d’acteurs engagés pour partager les retours d’expérience, accélérer les apprentissages et faire progresser collectivement la filière. »

- Qui figurent parmi les premiers signataires ?

« Parmi les premiers engagés, on compte Nexity, Icade, La Poste Immobilier, la Caisse des Dépôts (CDC) et SFL (Société Foncière Lyonnaise), qui ont été moteurs dans la création de la charte.

Les premiers signataires : Nexity, Icade, La Poste Immobilier, CDC et SFL, veulent s’engager concrètement pour un immobilier plus résilient. © DR
A leurs côtés, d’autres promoteurs et investisseurs rejoignent la démarche : Bouygues Immobilier, BNP Paribas Real Estate, GA Smart Building, CDC Habitat, In’li, Swiss Life Asset Managers… ou encore la Société de la Tour Eiffel.
Nous comptons déjà une quinzaine de signataires, représentatifs de la diversité du secteur : logement, tertiaire, foncier, gestion d’actifs, et d’autres acteurs, comme Action Logement, sont en discussion pour nous rejoindre. »

- Concrètement, quel sera le principe de cette charte ? A quoi s’engagent les signataires ?

« La charte fixe un cadre d’action autour de trois volets :
•    Agir sur les bâtiments : identifier et comprendre les risques climatiques, puis déployer des plans d’adaptation ;
•    Agir en interne : former les collaborateurs et évaluer la vulnérabilité des activités de l’entreprise ;
•    Agir en externe : embarquer les parties prenantes : prestataires, utilisateurs, collectivités, dans une dynamique collective.
Les signataires s’engagent également à partager leurs retours d’expérience pour nourrir des référentiels communs. L’OID et le Plan Bâtiment Durable assureront l’animation de cette communauté à travers des rencontres thématiques régulières et un bilan annuel qui permettra d’évaluer les progrès accomplis. »

- Certains pourraient dire : encore une charte ou un référentiel de plus ! Qu’est-ce qui distingue celle-ci ?

« C’est une vraie question et elle est légitime. Ce qui fait la différence, c’est d’abord le niveau d’engagement : la charte est signée par les directions générales, ce qui inscrit le sujet au cœur des décisions stratégiques.
Ensuite, notre objectif n’est pas de créer un énième label, mais une dynamique collective d’apprentissage. Les signataires partagent leurs méthodes et leurs retours d’expérience pour faire progresser l’ensemble du secteur, y compris les acteurs qui n’ont pas forcément les moyens de se faire accompagner.
Enfin, cette charte s’inscrit dans une démarche plus large : elle est une brique supplémentaire au sein de tous les travaux que nous menons sur l’adaptation. »

- Quelles sont les prochaines étapes ?

« Nous voulons d’abord étendre le mouvement, en embarquant de nouveaux acteurs dans les mois à venir. Ensuite, un travail de fond va s’engager sur des thématiques précises : la mesure des risques, la vulnérabilité des bâtiments, la montée en compétences, ou encore la dimension financière de l’adaptation.
C’est un point clé : nous travaillons à mesurer le coût de l’inaction. L’adaptation ne doit pas être perçue comme un coût supplémentaire, mais comme une condition de pérennité des actifs. Ne pas agir, c’est aussi risquer des pertes de valeur, des dégâts matériels ou des interruptions d’exploitation.
Ce sujet n’est plus prospectif : le changement climatique est là, tangible. Les promoteurs et investisseurs en voient déjà les effets. La réglementation française reste en retard, mais la taxonomie européenne pousse les acteurs à s’organiser.
Les directions générales ont compris que ce n’est pas un sujet cosmétique, c’est un sujet de risque économique et opérationnel. Quand on construit aujourd’hui, on bâtit pour 30 ou 50 ans : si l’on n’intègre pas l’évolution des aléas climatiques dès la conception, on fabrique les vulnérabilités de demain. »


- Exemple avec la question très débattue de la climatisation ?

« C’est un bon exemple. La climatisation ne doit pas être un réflexe, mais une décision réfléchie et anticipée. Trop souvent, elle est installée dans l’urgence, avec des équipements inadaptés, qui aggravent les îlots de chaleur urbains et creusent les inégalités sociales.
Il faut repenser le confort d’été à l’échelle du bâtiment mais aussi du territoire : orientation, ventilation nocturne, couloirs de fraîcheur, végétalisation… Tout cela suppose de faire dialoguer les acteurs du bâtiment et les collectivités. Nous ne disons pas « jamais de climatisation », mais « bien réfléchir avant d’en installer ». L’adaptation passe par une approche globale et contextualisée. L’adaptation n’est donc plus un sujet annexe ou théorique : elle touche directement le cœur de métier des acteurs de l’immobilier. La charte que nous lançons vise à donner les moyens concrets d’agir, collectivement et durablement. C’est un mouvement de fond. »