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Marc Yehya, Wüest Partner : « On ne peut plus construire comme avant »

Marc Yehya conseille que « comme on vérifie désormais le DPE, il faut vérifier la résilience climatique d’un bien ».

Tags : Immobilier, immobilier neuf, logement, logement neuf, risques climatiques, Wüest Partner


Canicules, inondations, submersions : les biens immobiliers voient leur avenir fragilisé. Dans une étude inédite, Wüest Partner dévoile les risques et les solutions. Entretien avec Marc Yehya, spécialiste ESG du cabinet de conseils.



- Quel était le but de cette étude ? Pourquoi vous êtes-vous penchés sur un sujet qui, à première vue, semble assez alarmant ?

 

« En France, les risques climatiques sont devenus centraux dans la réglementation européenne, notamment avec la taxonomie verte. Celle-ci définit ce qui est considéré comme une activité durable ou non, et oblige les acteurs de l’immobilier à s’aligner. Elle repose sur deux grands principes : la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’adaptation au changement climatique, c’est-à-dire la capacité à rendre le parc immobilier résilient face aux nouveaux aléas. Concrètement, les acteurs doivent cartographier les risques physiques auxquels leurs actifs seront exposés dans les prochaines décennies et mettre en place des actions pour s’y préparer.

Chez Wüest Partner, nous avons voulu fournir des données solides afin d’accompagner nos clients : investisseurs, promoteurs, banques ou assureurs, sur ces enjeux. C’est ce qui nous a conduits à collaborer avec Climata Technologies, une spin-off de l’ETH Zurich spécialisée dans la modélisation climatique. En croisant leur expertise scientifique et notre savoir-faire immobilier, nous avons cherché à mesurer l’impact concret des risques climatiques sur la valeur future des biens. »

 

- Qu’est-ce qui a attiré votre attention parmi les principaux enseignements de cette étude ?

 

« Nous avons étudié l’exposition du parc immobilier français à plusieurs aléas majeurs, parmi lesquels les inondations, la submersion marine, les sécheresses, les canicules, les glissements de terrain ou encore les incendies. Trois scénarios du GIEC ont été pris en compte. Le premier, optimiste, suppose un respect de l’accord de Paris et une baisse rapide des émissions mondiales. Le second, dit « business as usual », correspond à la poursuite des tendances actuelles et mène à une hausse moyenne de 2,7 degrés d’ici la fin du siècle, l’Europe se réchauffant plus rapidement que le reste du monde. Le troisième, le plus pessimiste, envisage une hausse de 4,4 degrés, ce qui rendrait une grande partie du parc immobilier non assurable à long terme.
Les résultats montrent que pratiquement tous les départements français sont exposés à un risque fort ou très fort. Les canicules concerneront quasiment l’ensemble du parc en France comme en Suisse. Quant à la submersion marine, dans le scénario le plus défavorable, elle pourrait affecter jusqu’à 1 % du parc français, avec des dégâts chiffrés en centaines de milliards d’euros. Les assureurs eux-mêmes estiment que le coût des sinistres climatiques augmentera de 93 % sur les 30 prochaines années, dont plus d’un tiers sera directement lié au dérèglement climatique. »

 

- Ces perspectives sont inquiétantes. Mais vous avez aussi identifié des pistes d’adaptation ?

 

« Oui, et c’est essentiel. Il existe des solutions techniques, comme la conception bioclimatique, l’isolation performante ou les systèmes de rafraîchissement passif, mais aussi des solutions fondées sur la nature, telles que la végétalisation des bâtiments et la création de synergies avec les écosystèmes environnants. Enfin, des mesures organisationnelles sont possibles à travers la gestion et l’exploitation, en formant et en sensibilisant les usagers. L’adaptation n’est donc pas hors de portée, mais elle doit être pensée et intégrée dès aujourd’hui dans les décisions immobilières. »

 

- Si je suis acheteur immobilier aujourd’hui en France, particulier ou investisseur, à quoi dois-je penser ?

 

« L’acheteur doit désormais se poser la question de la résilience climatique d’un bien, au même titre qu’il vérifie son DPE. Ce n’est pas un détail administratif : c’est une donnée qui conditionne la valeur, la qualité de vie et même l’assurabilité du logement. Une maison individuelle non adaptée pourra perdre jusqu’à 30 % de sa valeur dans les zones les plus exposées. Les conséquences peuvent être dramatiques pour des particuliers comme pour des investisseurs si cette dimension est négligée. »

 

- Et pour un promoteur, quels sont les enjeux ?

 

« Pour un promoteur, la responsabilité est grande. La réglementation française insiste encore surtout sur la performance énergétique et carbone, mais concevoir un bâtiment sans intégrer le climat, c’est créer un actif obsolète avant même sa livraison. Les banques et les assureurs scrutent déjà l’exposition aux risques climatiques, car ils ont l’obligation d’anticiper à long terme. Et les acheteurs, eux aussi, deviennent attentifs à cette question. L’attractivité d’un programme en dépendra directement. On ne peut plus construire comme avant. »

 

- Comment rester optimiste malgré ces constats ?

 

« Trois éléments me semblent essentiels. D’abord, les scénarios climatiques ne sont pas figés. L’avenir dépendra de nos choix collectifs et politiques. Ensuite, la réglementation évolue et pousse désormais à intégrer systématiquement ces risques dans les stratégies d’entreprise. Enfin, le marché commence déjà à différencier les actifs résilients des actifs vulnérables. Les premiers conserveront ou gagneront en valeur, les seconds se déprécieront. C’est ce qu’on appelle la « valeur verte » face aux « décotes brunes ». Anticiper, c’est prendre de l’avance et protéger son patrimoine. »

 

- Quel message peut-on adresser aux acheteurs et aux investisseurs ?

 

« Acheter ou construire un bien immobilier est une décision de vie. Il est donc capital d’analyser les risques climatiques avec autant de sérieux que la performance énergétique. Ne pas le faire, c’est s’exposer à des pertes considérables dans quelques décennies. Anticiper l’avenir, c’est non seulement préserver la valeur de son patrimoine, mais aussi contribuer à la résilience des territoires. »

L'étude de Wüest Partner dans le détail

Dans un contexte marqué par des vagues de chaleur record en juin, juillet et août derniers, Wüest Partner publie une étude inédite sur « L’impact des risques climatiques pour l’immobilier : analyse comparée France-Suisse », en partenariat avec Climada Technologies (ETH Zurich). L’analyse à retrouver ici se fonde sur les scénarios climatiques du GIEC à l’horizon 2030, 2050 et 2080, et met en évidence les sept menaces majeures pour le parc immobilier : pluies intenses, crues, canicules, tempêtes, feux de forêt, submersions marines et glissements de terrain. Les résultats sont sans appel pour la France : - 70 % du parc immobilier français exposé aux vagues de chaleur d’ici 2080 si les émissions restent au rythme actuel. - et même 90 % exposé en cas d’augmentation des émissions. - 50 à 60 % des bâtiments concernés par les tempêtes à l’horizon 2080. - Plus de 50 % des biens touchés par des pluies intenses, notamment dans les Alpes et le Finistère. - Risque d’incendies de forêt intensifié dans le sud de la France. En conclusion, l'étude alerte sur l’importance de planifier dès aujourd’hui la résilience des biens et d’intégrer les nouvelles exigences réglementaires, comme l'impose la taxonomie européenne et la directive CSRD.