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Luc Bouvet, Eiffage Immobilier : « Le plus dur est derrière nous mais nous avons besoin de stabilité » 

Nouveau directeur général d'Eiffage Immobilier, Luc Bouvet nous délivre les stratégies du promoteur pour rebondir après la crise.

Tags : Immobilier neuf, promoteur immobilier, Eiffage Immobilier, Luc Bouvet


Dans un contexte encore tendu pour l’immobilier neuf dans l'hexagone, certains signes laissent entrevoir une reprise. Luc Bouvet, Directeur Général d’Eiffage Immobilier, partage avec nous sa vision du marché, les stratégies du groupe et les signaux d’espoir pour les mois à venir.



- Lors de la présentation des résultats du Groupe, Eiffage annonçait que le marché de la promotion immobilière avait atteint son point bas. Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que le plus dur est désormais derrière nous ?

Luc Bouvet : « Oui, je confirme. Chez Eiffage Immobilier, nous pensons qu’on a touché le point bas. Il y a plusieurs signes encourageants. D’abord, les taux d’intérêt se sont globalement stabilisés. Et pour moi, ils sont revenus à un niveau « normal ». Ce qui était anormal, c’était cette période de taux extrêmement bas, presque déconnectés de la réalité économique.
Bien sûr, la remontée a été brutale. Mais le marché s’autorégule. On sent que les ménages regardent à nouveau l’immobilier, parce que leurs livrets d’épargne sont pleins et qu’il y a un besoin structurel de se loger. On assiste à un retour de l’intérêt pour l’achat en résidence principale, surtout les primo-accédants éligibles à la TVA 5,5 % ainsi qu’au PTZ, comme pour l’investissement.

À l'image de L’Haÿ-les-Roses, 50 % d’un programme vendu en 2 mois : preuve que la demande répond à des prix en phase avec le marché local. © Millerose / L'Hay-les-Roses / Eiffage Immobilier
Côté promoteurs, nous avons aussi revu nos grilles, notre approche commerciale. Et quand on retrouve des prix de marché cohérents, on constate que la commercialisation suit. Par exemple, nous avons vendu 73 % d’un programme neuf à L’Haÿ-les-Roses en cinq mois. La deuxième tranchée en commercialisation depuis 15 jours est à 54 % de lots commercialisés. Cela montre bien que la demande est là, à condition d’être en phase avec la solvabilité locale. »

 

- Vos chiffres 2024 montrent une baisse du chiffre d’affaires mais une hausse des réservations. Qu’est-ce qui explique ce rebond ? Et quelle tendance observez-vous pour ce début 2025 ?
« La remontée sera lente et progressive. 2025 devrait être légèrement meilleure que 2024, mais il ne faut pas s’attendre à un rebond spectaculaire. On est plutôt dans une phase de stabilisation. Chez Eiffage, nous n’avons pas connu de chute brutale. On a sécurisé nos programmes en cours, on continue à développer, mais prudemment.
Ce qu’on observe, c’est une sorte de consolidation. On est à un moment charnière, où tout le monde doit faire preuve de sagesse : trouver le bon prix, s’adapter au pouvoir d’achat, proposer une offre lisible et adaptée. »

 

- Quelle est votre stratégie pour construire un rebond durable ? Visez-vous plutôt les grandes métropoles ou les villes moyennes ?

« Notre première priorité, c’est de retrouver le marché local, de coller à la solvabilité réelle des habitants. Que ce soit dans les métropoles ou ailleurs, on ne peut plus additionner des coûts puis fixer un prix de vente. On doit faire l’inverse : partir de la capacité financière des ménages et construire un produit adapté.
C’est là qu’Eiffage a un avantage : nous sommes à la fois aménageur, promoteur et constructeur. Cela nous permet de travailler en amont et de proposer des logements abordables. C’est notre principal axe de travail aujourd’hui. »

 

- Quelles typologies de produits tirent leur épingle du jeu actuellement ? Les résidences gérées, par exemple, conservent-elles leur attractivité ?
« Oui, tout à fait. On poursuit activement le développement de nos résidences intergénérationnelles, les Cocoon’Ages. Elles répondent à une vraie attente sociétale : faire vivre le « bien-vivre-ensemble » de manière concrète. Ce sont des projets qu’on adore développer.
Côté résidences seniors, avec notre joint-venture Montana et la marque Cazam, on en compte neuf aujourd’hui. Certains doutent du potentiel de ce marché, mais il suffit de regarder les courbes démographiques : la génération née en 1945 arrive à l’âge moyen d’entrée en résidence senior (80 ans). Nos produits sont bien placés, bien conçus, et ça fonctionne.
Autre sujet des mois à venir : nous travaillons aussi sur des concepts industrialisés, avec de la construction hors-site, notamment grâce à notre filiale SAVARE. Cela nous permet de viser un produit de qualité, abordable, décarboné, et prêt à répondre aux futures normes RE2028. On espère pouvoir commercialiser ces logements abordables avant la fin de l’année. »

 

- Innover malgré un contexte difficile, c’est essentiel ?
« Plus que jamais. Les usages évoluent, il faut s’y adapter. On innove sur les matériaux, sur les formes d’habitat, mais aussi sur les montages financiers pour accompagner les acquéreurs. Il faut être force de proposition à tous les niveaux : technique, financier, social. »

 

- Le PTZ élargi, les donations exonérées, le LLI… Vous sentez un impact sur vos ventes ? Qui sont vos acheteurs aujourd’hui ?
« On voit enfin des signaux positifs du côté des politiques publiques, et c’est très bien. Pour le LLI, Logement Locatif Intermédiaire, c’est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais on signe nos premières réservations. On a besoin de pédagogie, de simplification : monter une SCI, par exemple, cela peut paraître très complexe pour beaucoup de ménages.
La mesure sur l’exonération des donations, c’est un bon levier pour la solvabilité. Le PTZ, pareil. Ce sont de bons outils, mais il faut du temps pour qu’ils produisent leurs effets. Il faut surtout redonner confiance. Et ça, c’est long à reconstruire. Ce que je demande avant tout, c’est de la stabilité. Les gens achèteront quand ils auront confiance, quand ils sauront que les règles fiscales et normatives ne changent pas tous les six mois.

A Smartseille, il y a des innovations, comme une boucle énergétique, récupérant la chaleur des bureaux pour chauffer les logements. © Smartseille Odyssée / Marseille / Eiffage Immobilier
Quand on entend que le statut LMNP pourrait encore évoluer, c’est exactement le genre d’incertitude qui fait fuir les investisseurs. L’immobilier, c’est de l’argent long. Il faut une lisibilité. Dans les autres pays où Eiffage est présent, on voit que la stabilité engendre la confiance. En France, c’est trop souvent l’inverse. D’où la nécessité de penser un statut pour le bailleur privé. L’offre locative est extrêmement tendue. Permettre aux privés de s’impliquer dans de bonnes conditions, c’est ouvrir le jeu. Mais ils ne viendront que s’ils se sentent sécurisés. Si les règles de plafonnement des loyers changent en permanence, ça n’incite pas à investir. Il faut de la lisibilité pour que les investisseurs aient envie de s’engager. »

 

- Quelles opérations emblématiques de votre savoir-faire sont à suivre ce printemps ?

« Je pense bien sûr au village olympique. Nous sommes dans la phase de commercialisation post-Jeux, avec déjà près de 50 % des logements de la phase Héritage écoulés, en copromotion avec Nexity. C’est un beau démonstrateur d’un immobilier qui vit une deuxième vie.

Autre exemple à Dieppe, où nous développons des logements temporaires pour les ouvriers du chantier de la centrale nucléaire, qui seront ensuite retransformés en logements sociaux ou libres pour les habitants permanents. Cela montre que notre métier peut s’adapter à l’évolution des usages.
Et puis il y a la deuxième phase de Smartseille Odyssée à Marseille. Un superbe écoquartier démonstrateur, là aussi pensé pour des habitants avec un pouvoir d’achat contraint, en cœur de ville en pleine reconversion. On y introduit des innovations fortes, comme cette nouvelle boucle dite de solidarité énergétique, récupérant la chaleur des bureaux pour chauffer les logements. C’était avant la crise énergétique et c’est plus que jamais d’actualité que de caper les dépenses des occupants. Nous mettons aussi à jour de nouvelles innovations, autour de la récupération des eaux grises par exemple. C'est dans le sens d'améliorer les usages et réduire la facture du coût du logement. » Découvrir également - Smartseille Odyssée : où en est le nouvel îlot démonstrateur d'Eiffage Immobilier à Marseille ?

 

-  Quelle conclusion tirez-vous pour les mois à venir ?
« On reste optimiste. Le redémarrage est lent, mais il est là. Chez Eiffage Immobilier, on accélère le développement tout en restant en phase avec la solvabilité des ménages. On a aujourd’hui plus de 2 500 lots en commercialisation, contre un rythme de vente de 2 000 habituellement. Nous avons des opérations qui se portent bien à Lyon, Nantes, Angers, en Ile-de-France, même en montagne… L’offre va être la clé pour accompagner la reprise. Et chez Eiffage, nous sommes prêts : nous avons les outils, les savoir-faire et surtout la conviction qu’il faut de l’immobilier afin d’anticiper la crise sociale qu’il y aura derrière tout ça si on ne le fait pas. »