Cécile Roquelaure, Empruntis : « Il y a du positif dont il faut profiter sur le plan du crédit immobilier »
La reprise se dessine dans le paysage du crédit immobilier français. Cécile Roquelaure, directrice des études chez Empruntis, partage les nouvelles encourageantes et les opportunités à saisir en matière de crédit pour ce printemps 2024 grâce à l'évolution des taux et des offres de crédit.
- Quels sont les points positifs de ce printemps de l’immobilier en matière de crédit ?
« Cela fait quand même deux ans que nous répétons au grand public que les banques ne prêtent plus, que quand elles prêtent, elles prêtent à des prix excessivement élevés ce qui ruinent leur capacité d'achat, que l'accès au financement, c'est la galère, que le taux d'usure a empêché tout le monde d'accéder et que les banques refusaient à tour de bras des dossiers. Tout ça, cela a été vrai, mais ça ne l'est plus. Et c'est une des excellentes nouvelles de 2024. La situation est en train s'améliorer depuis le dernier trimestre, voire dernier quadrimestre de 2023, avec le retour de marge sur le coût du financement. C’est ainsi que des acteurs bancaires, qui avaient arrêté de prêter, reviennent, que des critères se réouvrent. Un phénomène qui s'est sacralisé depuis la fin de l'année et nous débutons donc 2024 avec une offre de crédit qui est complète. Toutes les banques sont de retour. Elles ont toutes souffert de 2023. Elles ont de nouveau toute envie de refaire du crédit et elles sont prêtes à faire des efforts sur le taux. Depuis le début de l'année, nous avons quand même perdu 35 points de base entre décembre et aujourd'hui, passant d'un taux moyen de 4.35 % à 4 %. Il y a donc une volonté de réduire le coût du crédit au maximum.
Autre phénomène positif : les banques qui sont prêtes à trouver des solutions pour booster votre capacité d'emprunt, puisque certaines banques ont ressorti les crédits sur 30 ans, pour les primo-accédants principalement, donc ça prouve qu'elles ont envie de les accompagner, de les resolvabiliser.
En parallèle, il y a des banques qui proposent des prêts boostés depuis le début de l’année : pour certaines, il s’agit de prêts réservés à ceux qui accèdent au PTZ pour venir compléter. Il y a même des banques qui ont ouvert ces prêts bonifiés à tous. Ainsi, selon les établissements bancaires, votre profil et votre projet, il est possible d’obtenir des enveloppes entre 15 000 et 25 000 euros à taux bonifié, voire à taux zéro. Les banques soutiennent l'accès au financement et à la propriété par ces coups de pouce.
D’autres banques, qui ne finançaient plus d'investissement locatif, ont réouvert des critères sur de l'investissement locatif. Alors, évidemment, elles ne prennent pas tous les profils, elles regardent avec attention les dossiers de prêt, elles sont vigilantes compte-tenu de la volatilité du marché tant côté prix que du côté de l’offre, mais elles ont la volonté de refinancer toutes les typologies de projets.
Ainsi, aujourd'hui, avoir son crédit, si vous avez effectué une bonne préparation de votre dossier de prêt, si votre dossier est sérieux et raisonnable, c’est-à-dire des revenus cohérents avec le bien que vous souhaitez acquérir, ce n'est pas un problème en soi. Et c'est important de le dire parce que cela constitue une énorme barrière dans le fait d'initier un projet. »
- Est-ce que, du coup, grâce à ces signaux positifs, sent-on un frémissement de la demande. Qu'est-ce qui l'explique ?
« Le marché n'est pas homogène, et en fonction des populations, ceux qui ont rongé leur frein en 2022 ou 2023, au bout d'un moment, quand la famille s'agrandit, ou que vous avez changé de job et que vous avez besoin de vous loger ou déménager, vous pouvez attendre, vous pouvez ronger votre frein, mais au bout d'un moment, il faut y aller. Donc mécaniquement, il y a actuellement sur le marché ceux qui n'ont pas pu accéder au financement ou qui ont été contraints dans l'exercice l'année dernière, et il y en a forcément eu sur le premier semestre, parce que les refus des banques étaient quand même beaucoup plus nombreux. Pour ceux-là, la situation s'est débloquée. La petite musique de « ça s'est amélioré » et « les banques reprêtent » commence à être entendue. D’autant que selon où vous habitez ou selon ce que vous recherchez, certains se disent qu'il y a probablement des bons coûts à faire, dans l’immobilier neuf comme dans l'ancien. Dans l'ancien par exemple, parce que, vous avez des biens dont le DPE est dégradé, ce qui donne des petites marges de négociation ou alors parce que certains vendeurs, face à des délais de vente un peu longs, sont parfois contraints de négocier. Cela constitue une opportunité.
- D’autant que l’on peut imaginer renégocier son crédit plus tard si les taux continuent de baisser.
« Effectivement car il y a deux facteurs qui font que vous êtes attentiste : les prix et les taux. Sur les prix, peut-être qu'en attendant six mois, vous trouverez un bien moins cher ou une meilleure opportunité, si toutefois le marché ne s'est pas retendu d’ici là. Nous avons beaucoup de témoignages de secundo-accédants dans l’ancien qui nous disent ne pas être pressés pour vendre et qui n’ont aucun intérêt à baisser leur prix. La correction sur les prix pourrait s’arrêter très vite.
Côté taux, si vous attendez une baisse des taux, c’est là aussi incertain. Ceux qui avaient été les plus ambitieux, évoquaient des baisses pour la fin de l'année à 3 %, le scénario actuel n’en prend pas le chemin puisque la BCE, Banque Centrale Européenne, décidera d’une éventuelle baisse seulement en juin. Comme on sait que les effets de baisse pendant l'été jouent un peu, que la rentrée, c'est la dernière période pour les dossiers de 2024, il sera, à mon avis, difficile de bénéficier de taux à 3 % d'ici la fin de l'année. Toutefois, au lieu d'attendre et d'espérer que ce soit le cas, lancez-vous dès maintenant et renégociez votre crédit au début d'année prochaine. Vous n'avez rien à perdre, vous avez tout à gagner en démarrant votre projet dès maintenant. »
- A quoi faut-il faire attention si on veut renégocier ou faire racheter son crédit d’ici un ou deux ans si les taux baissent davantage ?
« Il faut être vigilant aux indemités de remboursement anticipé mais ce sont justement là-dessus que les banques sont réticentes à faire des ajustements car elles ne veulent pas perdre leurs clients ultérieurement. Ces indemnités sont encadrées juridiquement. Les banques peuvent faire des efforts sur ces points mais elles sont très vigilantes comme on peut s’attendre à une baisse des taux dans les mois à venir. Il y a peu de marge de manœuvre ; mais la négociation se tente. »
- Quid du PTZ nouvelle formule ? Est-ce qu'il y a des points positifs ? Des profils qui pourront davantage en profiter ?
« Nos partenaires bancaires nous disent qu'il y a encore beaucoup de mouvements autour du nouveau PTZ mais d’après les premières simulations, cela sera surtout intéressant pour la quatrième et nouvelle tranche de revenus. Ce sont des ménages qui ont les moyens d'acheter de l'immobilier dans le neuf, qui sont finançables et qui vont donc bénéficier d'un coup de pouce qu'ils n'avaient pas auparavant.
Sur la tranche des ménages les plus modestes, la quotité monte à 50 %, mais cela reste des ménages modestes qui vont avoir du mal probablement à avoir le pouvoir d'achat suffisant, sauf à acheter de toutes petites surfaces. Sur les deux tranches intermédiaires, on gagnera de la capacité d'emprunt, environ 5 % ; mais cela reste loin de ce qui a été perdu en deux ans avec la remontée des taux d’intérêt. C’est toujours cela de pris mais c’est clairement la tranche 4, bon client pour le neuf qui en profitera le plus. » Lire aussi - Comment mettre en location avec un PTZ ?
- Pourquoi le gouvernement veut-il se lancer dans le prêt in fine qui semble ne séduire personne ?
« Le sujet de fond est comment resolvabiliser la demande. Quand vous voulez libérer de la capacité d'emprunt des ménages, vous avez deux options : faire baisser les prix ou limiter l'impact des prix sur le budget. C'est la deuxième option qui est privilégiée actuellement par le gouvernement en termes de réflexion. Ainsi, l’idée est avec le prêt in fine, de ne plus financer 100 % de l'acquisition, mais seulement 80 % et que les 20 % qui restent, soit remboursé à la fin. Le problème étant à la fin de quoi ? A la fin du remboursement du crédit principal ou lors de la revente ? Cela reste très flou pour le moment.
Techniquement, cela présente quelques embûches et cela nécessite du développement informatique chez les banques. Cela pose aussi des questions de gestion du risque pour ces 20 % que l'emprunteur doit rembourser. Quand est-ce qu'il les rembourse ? Qu'est-ce qui se passe s'il ne peut pas rembourser à la fin du crédit ? En fait, cela augmente la charge de risque chez les banquiers que le HCSF, Haut Comité de Stabilité Financière, faisait tout pour réduire justement. C'est un peu contradictoire.
Risque que l'emprunteur va également payer car le taux en crédit in fine est plus élevé, environ 50 points de base supplémentaire, qu’un crédit amortissable. Côté banque, cela représente une usine à gaz quand côté emprunteur, il y a une culture de l'accès à la propriété totale en France. On voit bien avec toutes les tentatives de petites révolutions sur le marché de l'immobilier qui sont les baux emphytéotiques, le fait d'acheter en scission avec une foncière... Toutes ces innovations-là qui ont le même objectif que celui du gouvernement, se développent peu parce que l'instinct de propriété en France reste encore très fort. Cela changera peut-être dans les années à venir mais je n'ai pas le sentiment que le marché soit encore mûr pour ce type de propriétés : partagées ou déportées dans le temps. D’autant que c’est dommage de vouloir monter des usines à gaz et de faire porter le risque sur l'emprunteur quand, il suffirait d'avoir une vraie politique du logement pour qu'il y ait plus d'immobiliers qui sortent de terre et donc plus de biens et des prix qui deviennent ainsi cohérents avec les niveaux de revenus. Plus simple et rapide encore : revoir les règles imposées par le HCSF depuis deux ans, comme à propos du reste à vivre pour les investisseurs et laisser gérer le risque aux banques qui en ont l’habitude. »