Depuis l'essor fulgurant d'Airbnb en 2008, la location de meublés touristiques est devenue un phénomène massif en France. Avec plus d'un million d'annonces recensées dès 2019 et près de 192,4 millions de nuitées enregistrées en 2024 selon Eurostat, la France est aujourd'hui le premier marché européen de la
location courte durée, LCD. Mais derrière cette dynamique se cache une question capitale : qui sont vraiment les propriétaires qui alimentent ce marché florissant ? Analyse d'un phénomène d'après l'étude du Cerema par Sylvain Guerrini et Nicolas Pelé, relayée par Fonciers-en-débat.com.
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Une typologie des propriétaires loin des fantasmes
L'image du multi-investisseur spéculatif, installé à l'étranger et engrangeant des profits colossaux, est souvent véhiculée dans le débat public. Pourtant, les travaux du Cerema, notamment à Calais et à Marseille, viennent nuancer ce portrait.
À Calais, l'étude commandée par la municipalité avec le soutien de l'ANCT révèle que 85,2 % des propriétaires de meublés touristiques résident dans le Pas-de-Calais, montrant une très forte territorialisation du phénomène. De plus, 93 % des propriétaires détiennent ou gèrent cinq logements ou moins, et plus de la moitié ne possèdent qu'un seul bien. Seuls 7 annonceurs gèrent plus de 20 logements, mais ces profils sont le plus souvent des sociétés de gestion ou des conciergeries, pas des particuliers.
À Marseille, les chercheurs ont croisé des données issues des plateformes (collectées par Touriz) avec les fichiers fonciers de la DGFIP. Ce croisement a permis d'identifier l'adresse des biens, le profil des propriétaires (âge, commune de résidence) et l'historique des transactions. Cette méthode, bien que techniquement complexe (taux d'appariement de 60 %), met en évidence une hétérogénéité des profils : à côté de quelques investisseurs multi-propriétaires, nombreux sont ceux qui sont des propriétaires occupants ou de petits investisseurs, parfois retraités, ayant choisi ce mode de location pour compléter leurs revenus.
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Entre location occasionnelle et stratégie professionnelle
Une distinction essentielle opérée dans ces études est celle entre loueurs occasionnels et loueurs professionnels. À Calais, les données d'AirDNA ont permis de segmenter les annonces selon leur intensité d'utilisation : les « permanentes » (louées plus de 120 jours/an) représentent 23,7 % des annonces, mais génèrent 62,2 % des nuitées. Cela suggère que ce sont bien quelques logements intensivement loués qui génèrent l'essentiel de l'activité.
« Le parc de logements vacants, important sur la commune de Calais, permettrait encore d'accroître l'offre de meublés touristiques, sans exercer d'effet d'éviction sur le parc des résidences permanentes », souligne le rapport du Cerema, montrant que dans certains territoires, le phénomène reste maîtrisable, voire bénéfique pour la revitalisation locale.
Des conséquences bien réelles dans les zones tendues
À l'inverse, dans des villes comme Paris, Lyon ou Montpellier, des études antérieures ont montré des effets inflationnistes sur les loyers et les prix immobiliers, corrélés à la densité des
meublés de tourisme. Les ménages les plus modestes sont les premiers touchés par l'éviction, notamment en raison de la raréfaction des T1 et T2, prisés des étudiants et jeunes actifs. «
Une forte densité de logements LCD augmente la probabilité de déménager vers un quartier plus pauvre », conclut ainsi Lauriane Belloy dans son étude en Nouvelle-Aquitaine en 2023, citée par l'étude du Cerema.
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Vers une meilleure régulation grâce à la transparence des données
Face à ces enjeux, le législateur a récemment renforcé l'arsenal réglementaire. Les lois SREN et Le Meur instaurent une meilleure collecte et transmission des données entre plateformes, communes et administrations via le téléservice national « API meublés ». L'obligation d'enregistrement s'appliquera à tous les meublés de tourisme dès mai 2026, permettant une meilleure traçabilité des propriétaires, de leurs revenus et du respect des seuils de location.
Objectif à terme : cette transparence accrue doit permettre aux collectivités locales d'adapter finement leur politique de régulation. Et surtout, de distinguer les propriétaires occasionnels des investisseurs professionnels, avec de possibles règles différenciées à la clé.
Airbnb : partage ou spéculation ?
Au final, les propriétaires Airbnb sont loin de former un bloc homogène. Comme le soulignait déjà l'étude de Nicolas Oppenchaim en 2022, « il existe une dichotomie entre "le bon Airbnb" et "le mauvais Airbnb" », mais la réalité est souvent plus nuancée. Certains louent pour arrondir leurs fins de mois, d'autres dans une logique patrimoniale, d'autres encore dans une optique de rendement à court terme.
Grâce aux nouvelles obligations de transparence et aux études menées à l'échelle locale, le mythe du spéculateur international est peu à peu remplacé par une connaissance plus fine, plus utile à la régulation. Mais elle met surtout en avant la nécessité de créer un statut du bailleur privé pour mieux encadrer l'ensemble du marché locatif qu'il s'agisse de location meublée ou vide, de courte ou de longue durée.