Cécile Roquelaure, Empruntis : « L'année de tous les dangers mais avec des signaux positifs »

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Directrice des études chez le courtier Empruntis, Cécile Roquelaure évoque pour nous les différents scénarios et les dernières tendances en matière de crédit immobilier et d’évolution des taux d’intérêt. Bonne nouvelle : oui, il est toujours possible d’emprunter en 2023.

Cécile Roquelaure, Empruntis
Directrice des études du courtier en crédit immobilier, Empruntis, Cécile Roquelaure veut rester optimiste pour 2023.

Directrice des études chez le courtier Empruntis, Cécile Roquelaure évoque pour nous les différents scénarios et les dernières tendances en matière de crédit immobilier et d’évolution des taux d’intérêt. Bonne nouvelle : oui, il est toujours possible d’emprunter en 2023.

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- Peut-on dresser un bilan de 2022, qui reste, paradoxalement, une bonne année pour l'immobilier au sens large ?

« En prenant un peu de hauteur, 2022 est au global une bonne année pour le crédit immobilier parce nous avions encore des taux très bas qui sont remontés de façon significative mais régulièrement à partir de février. Nous sommes partis du plancher historique puisqu'en janvier 2022, le taux moyen sur 20 ans était de 1 %. L'année est restée bonne, portée principalement par le premier semestre. Le premier trimestre ne connaissait pas encore l'effet contraignant du taux d'usure. Un premier trimestre très dynamique, porté par la hausse des taux et cette envie de pouvoir bénéficier des meilleures conditions pour les acheteurs qui étaient prêts à se lancer. Puis, le deuxième trimestre a commencé à être un peu plus tendu avec toujours beaucoup d'intentions d'achat mais malheureusement des débouchés bancaires qui commençaient à devenir un peu plus difficiles. 
A partir de l'été, nous avons perçu de vraies tensions sur l'octroi de financement, mais aussi sur la capacité d'emprunt puisque nous avons commencé à avoir des taux qui n'étaient plus ceux d'avant. Les taux de crédit progressaient, rognant une partie de la capacité d'emprunt et même si ce n'était pas d'importantes hausses faciales, cela a eu un impact pour les ménages les plus modestes, à cause du taux d'usure qui contraignait les banques à choisir les dossiers sur lesquels elles allaient, il faut le dire, perdre de l'argent. 
Enfin, sur le dernier trimestre, nous avons observé une vraie baisse de l'activité parce qu'un certain nombre de dossiers de prêt ne passent plus le taux d'usure et que la hausse des taux, elle, commence à être significative pour les emprunteurs. Nous avons eu une année 2022 tout en nuances, avec trimestre après trimestre, une situation qui se dégrade et une psychologie des acheteurs qui est de moins en moins positive et des emprunteurs qui s'interrogent pour savoir si c'est encore le bon moment d'acheter. Et pour ceux qui ont encore envie d'y aller, des contraintes qui deviennent fortes pour arriver à décrocher un crédit. »

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-  Est-ce que ce début 2023 reste sur la même tendance complexe que fin 2022 en matière de crédit immobilier ?

« Ça ne redécolle pas. Le taux d'usure a certes augmenté au 1er janvier mais les taux de crédit, eux, continuent à monter également car les banques courent toujours après l'augmentation du coût de l'argent. L'OAT à 10 ans, qui est le point de référence pour le financement des banques, ce que paient les banques pour emprunter, était à un niveau nul, voire négatif en décembre 2021 et aujourd'hui, l'OAT 10 ans oscille entre 2,8 % et 3 % ces quinze derniers jours. Nous avons donc un triplement du coût de l'argent pour les banques alors que les taux de crédit ont été multipliés par deux, voire deux et demi seulement. Les banques travaillent à perte sur le crédit immobilier et elles ne peuvent pas augmenter et pratiquer le juste prix du crédit en raison du taux d'usure. 
Sur ce début d'année, nous avons donc le même scénario que fin 2022, avec un étau qui se resserre autour des banques, qui fait que le crédit coûte plus cher aux emprunteurs et cela limite leur capacité d'emprunt. Et deuxièmement, les banques n'ont pas envie de financer tout et n'importe quoi ; parce qu'elles n'ont pas assez d'argent pour financer tout le monde vu qu'elles perdent de l'argent et elles vont donc choisir leurs dossiers. »

 

- Pourtant, cela reste pertinent de se lancer et d'emprunter, même à 3 %, en raison du niveau de l'inflation.

« Historiquement, quand l'inflation est haute et que les taux de crédit sont bas, on parle d'un gain, même s'il ne faut pas oublier que les revenus doivent aussi augmenter pour que cela crée cet effet d'aubaine. Quoi qu'il en soit, pour être pragmatique, quand on achète avec un crédit à taux fixe, ce qui est une spécificité française, je fige mon budget logement. C'est le gros atout de devenir propriétaire ; à l'inverse, des locataires pour qui les loyers sont réévalués chaque année. Même si l'indice de référence des loyers a été plafonné à 3,5 % par le gouvernement, jusqu'à l'été prochain, le poste logement d'un locataire peut tout de même augmenter de 3,5 %, ce qui n'est pas le cas avec un crédit à taux fixe. Rien que pour cela, devenir propriétaire est un atout.

Devenir propriétaire, c'est aussi construire son patrimoine, avoir un toit sur la tête pour protéger sa famille en cas d'aléas de la vie avec une assurance emprunteur... C'est une vision patrimoniale. Aujourd'hui, ne pas permettre aux jeunes d'accéder à la propriété, c'est les priver d'un patrimoine pour leur retraite, alors que nous sommes en pleine réforme des retraites. Bien sûr que l'on peut dire que c'est très franco français et qu'il y a des pays où il n'a pas besoin de devenir propriétaire, mais les Français aiment l'immobilier et ça ne se dément pas. Il faut juste leur donner les moyens d'y accéder, d'autant plus quand on sait qu'il y a une pénurie de logements en location sur le marché. Devenir propriétaire, ça reste une très bonne solution pour tous les ménages qui ont besoin de se loger. Acheter avec un taux moyen en dessous 3 % sur 20 ans et même à 4 %, il n'y a pas péril en la demeure. »

 

- La période bénie des taux historiquement bas, c'est terminé ?

« On ne reverra pas cela avant très longtemps. Après, le marché immobilier reste cyclique, tout peut changer puisqu'on a aussi connu des taux à 8 % au début des années 80. Est-ce que dans les prochaines années, on connaîtra une période de taux aussi bas que ce que nous avons connu en 2021? Je ne pense pas. C'était une parenthèse, extrêmement favorable à tout le monde, et qui a porté le marché immobilier alors que les prix étaient en perpétuelle évolution. De là à attendre une baisse des taux de crédit pour se lancer, non. »

 

- Est ce que vous avez repéré des spécificités ces derniers mois sur l'immobilier neuf ? Sur l'investissement locatif ?

« L'avantage qu'a l'immobilier neuf aujourd'hui, c'est qu'il n'a pas de problème de rénovation énergétique. C'est un très gros atout pour les acheteurs parce que les banques sont extrêmement regardantes sur les DPE, Diagnostic de Performance Energétique, et sur le financement de la rénovation énergétique. Ce qui complique le plus le sujet de l'immobilier neuf aujourd'hui, c'est la limitation de durée de prêt pour les primo-accédants. Nous avions plutôt tendance à avoir un allongement des durées, au-delà des 25 ans, justement pour des ménages jeunes et un peu plus modestes et le HCSF, Haut Conseil de Stabilité Financière a fermé cette porte là. Cela a un impact pour les primo-accédants qui pouvaient être acheteurs de neuf. 

Pour l'investissement locatif, là aussi, le HCSF a joué contre certains projets en changeant la mécanique de calcul pour les banques. Auparavant, le calcul du taux d'endettement ne prenait en compte que l'effort supplémentaire, c'est-à-dire la différence entre les mensualités de crédit et les loyers. Cette méthode de calcul a été très favorable aux investisseurs locatifs et c'était tout à fait logique avec le marché. Sauf que cette méthode de calcul ne peut plus être pratiquée par les banques et cela a mécaniquement contraint beaucoup d'investisseurs. D'autant que les établissements bancaires partent désormais du principe que potentiellement les prix de l'immobilier vont baisser et qu'il pourrait y avoir des problématiques de revente de bien qui ne soient pas à la hauteur du crédit mis en place. Nous observons donc une vraie sensibilité des banques en termes de prime de risque sur les investisseurs. Certaines vont même privilégier les multi-investisseurs, qui ont déjà un ou deux biens, plutôt qu'un primo investisseur. » 

 

- Quid des scénarios pour 2023 ? 

« Le premier trimestre va rester très complexe et nous le voyons déjà avec le démarrage en janvier. Les banques pour rattraper cet écart avec le coût de l'argent dont on parlait précédemment, suivent le taux de l'usure et donc, pour certaines, elles appliquent exactement la hausse du taux d'usure accordée en janvier. Nous avons donc des conditions de financement qui restent très compliquées. Si, il y a quelques mois, un emprunteur signait un compromis, puis se posait la question ensuite de savoir où il allait se financer ; ça n'existe plus. Il faut être sûr d'avoir son crédit avant de signer une offre. 
Sur le premier trimestre, nous finançons encore des dossiers, mais mieux vaut bien les préparer et il ne faut pas croire que parce que votre banque vous a dit « oui » une fois, elle vous dira « oui » toujours. Nous partons du principe, et ce sont nos partenaires bancaires qui nous le disent, que globalement, le coût de l'argent devrait finir par se stabiliser. Donc, avec la mise à jour du taux d'usure mensuellement comme annoncé, on pourrait parvenir à une normalisation plus rapidement ; mais ça ne réglera pas tout. 
Cela va beaucoup dépendre aussi de la situation des prix de l'immobilier. Nous ne pensons pas avoir une baisse forte et homogène des prix, mais cela pourrait varier selon les territoires. Là où il y a eu beaucoup de demandes, les villes de petites et moyennes couronnes, les grandes agglomérations, avec des bassins d'emploi à la hausse et une dynamique de territoire, il y aura probablement un ralentissement, voire une stabilisation des prix, mais pas une forte baisse. En revanche, dans des territoires en zone rurale, où l'on s'était mis au vert après la crise sanitaire et là où il y a moins d'emplois, moins de télétravail, cela pourrait souffrir davantage de la baisse de volume de demandeurs. Nous n'aurons pas une situation homogène partout et il ne faudrait pas que cette baisse des prix ne soit trop forte parce qu'elle pourrait être de nature à inquiéter les partenaires bancaires qui pourraient devenir encore plus vigilants en matière de financement. C'est l'année de tous les dangers ; mais nous tablons sur un dernier trimestre positif avec une reprise de la demande et une amélioration des conditions d'octroi de crédit. »

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- Dans ce contexte difficile, quels conseils donner à ceux qui veulent passer à l'achat ?

« Si on a envie d'acheter de l'immobilier, il ne faut pas se l'interdire parce qu'on entend partout que c'est la catastrophe. Ce n'est pas la catastrophe. Nous trouvons encore des solutions. Il faut pour cela commencer par bien estimer sa capacité d'emprunt et idéalement ne pas le faire qu'avec sa propre banque. Il est préférable d'au moins consulter un deuxième établissement bancaire car votre banque peut vous dire « oui » aujourd'hui et « non » demain car leur stratégie évolue très vite. 

achat primo-accédant
Paradoxalement, les emprunteurs jeunes sont davantage plébiscités par les établissements bancaires. © Shutterstock
L'élément clé de l'ensemble du projet est la capacité d'emprunt. En plus dans l'immobilier neuf, on peut bénéficier d'effets de levier comme le prêt à taux zéro qui a repris beaucoup d'intérêt pour les primo-accédants. Cette capacité d'emprunt, il va falloir l'actualiser de façon régulière, car d'un mois à l'autre, il peut y avoir une évolution des taux et des décisions des banques qui peuvent impacter votre projet.
Il faut aussi avoir préparé votre dossier de prêt en amont et le compléter au fur et à mesure de l'avancement de votre projet en ajoutant régulièrement les bulletins de paie et autres. Au moment de la signature d'un compromis, il va falloir boucler très vite le dossier pour ne pas être pénalisé par une nouvelle hausse des taux ou par un resserrement des critères par les banques. »

 

- On parle beaucoup du nombre de refus de prêt avec une différence entre les chiffres alarmistes annoncés par les courtiers et certains réseaux immobiliers. Qu'est-ce qui explique cet écart ? Les courtiers sont beaucoup plus en amont ?

« Oui, le taux d'usure est un problème, mais ce n'est pas un problème partout, sur tout le territoire. Il y a des zones géographiques comme dans le grand ouest où il y a moins ce problème de refus de prêt lié au taux d'usure, pour différentes raisons. En revanche, en Ile-de-France, par exemple, les banques ayant réalisé leurs objectifs dès le premier semestre, quand le taux d'usure est devenu un problème majeur, elles ont estimé qu'elles n'avaient pas besoin de perdre de l'argent pour gagner de nouveaux clients. Evoquer un pourcentage national de refus de prêt n'a donc pas beaucoup de sens.
Pour ce qui est des statistiques des agents immobiliers, il y a forcément un écart de constatation avec les courtiers parce qu'il y a certainement un nombre d'emprunteurs qu'il est difficile de quantifier à qui nous avons déjà dit, en amont, que leur projet de financement ne passerait pas en raison du taux d'usure et que cela ne servait à rien de rechercher un bien. »

 

- Malgré cette forte remontée des taux, est-ce qu'il y a encore des bonnes nouvelles à donner ? Où en est-on du volontarisme des banques en ce début d'année ? Est-ce qu'il y a des profils qui sont plus privilégiés ? 

« Malgré ce climat anxiogène, les banques, elles, ont toujours envie de prêter. Aujourd'hui, elles sont dans les startingblocks et elles n'attendent qu'une chose, c'est que cela reparte puisque le crédit immobilier est le principal outil de conquête de nouveaux clients. Après, elles ne sont pas prêtes à les obtenir à n'importe quel prix. Et là, nous allons toucher aux types de profils et de projets qu'elles sont prêtes à financer. Comme elles perdent de l'argent en général sur les dossiers de crédit immobilier, à cause du coût de l'argent, elles ne sont pas prêtes à financer des dossiers risqués. 
Donc aujourd'hui, plus que jamais, nous sommes sur un retour aux fondamentaux. Il faut que le dossier de prêt soit « béton », c'est-à-dire qu'il ne faut pas imaginer aller chercher un crédit immobilier si on est dans le rouge, si on n'a pas d'épargne mise de côté, si on n'a pas de capacité d'épargne. Pour les primo-accédants, le saut de charges, qui est la différence entre le loyer et la capacité d'épargne mensuelle aujourd'hui et l'échéance de crédit, doit être le plus réduit possible, voire ne pas exister. 
Les banques veulent donc financer des emprunteurs qui ont préparé leur projet, qui ont les reins suffisamment solides pour payer leur crédit et tout ce qui va avec le fait des propriétaires : la taxe foncière qui ne cesse d'augmenter, les charges de copropriété... sujet moins prégnant dans l'immobilier neuf où il existe une possible exonération de taxe foncière, des charges réduites... 
Après, au vu de ce que leur coûte l'argent, on pourrait penser que les banques ne veulent que des gens qui gagnent beaucoup d'argent et paradoxalement, ce n'est pas vrai. Elles préfèrent financer l'acquisition de dix nouveaux clients à 200 000 euros, qu'un seul avec un projet à 2 millions d'euros. Idéalement, il vaut mieux être jeune primo-accédant qu'être un quinqua primo-accédant, car un client jeune, c'est plus intéressant pour une banque. 
Il n'y a pas de volonté des banques de ne plus financer de l'immobilier, bien au contraire. Il faudrait juste que les planètes que sont les règles du HCSF, le taux d'usure, le coût de l'argent... s'alignent de nouveau. »

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